Comprendre les coalitions de politiques publiques à partir de l’analyse des ressources multiformes mobilisées au sein des réseaux d’acteurs.

Franck Poupeau, Lala Razafimahefa

Contact: lala.razafimahefa@univ-montp3.fr

Cet article à vocation méthodologique présente une manière spécifique d’identifier et représenter les coalitions de politiques publiques selon une analyse basée sur l’approche des « coalitions de cause » (Advocacy Coalition Framework), à laquelle sont intégrés de nouveaux principes d’analyse. Le modèle développé consiste à prendre en compte, de manière combinée, trois types de ressources mobilisées à travers les réseaux d’acteurs : les ressources relationnelles qu’ils acquièrent de par leur positionnement et leur influence dans ces réseaux, leurs croyances partagées, ainsi que leurs ressources personnelles (trajectoires scolaires, professionnelles et militantes). Nous avons appliqué la méthodologie dans le cadre d’un projet de recherche portant sur la fabrique des politiques environnementales à partir de conflits pour l’accès à la ressource hydrique dans les Amériques (Bolivie, Brésil, Etats-Unis, Mexique, Pérou), en nous focalisant plus précisément sur la problématique de l’émergence de coalitions multi-niveaux d’acteurs. A partir de l’analyse des données d’enquêtes de terrain, réparties selon les trois types de ressources évoqués, nous avons mis en évidence six scénarios probables d’émergence des coalitions : (1) renforcement des bureaucraties hydriques ; (2) émergence d’une coalition de militantisme écologique de la « société civile » ; (3) renforcement du pouvoir territorialisé des professionnels de l’eau ; (4) émergence d’une coalition de modus vivendi en faveur d’un développement local durable ; (5) émergence d’une coalition conservationniste basée sur l’expertise ; (6) émergence d’une coalition institutionnelle conservationniste. Sur ces terrains, les conflits mettent en confrontation différentes combinaisons de ces scénarios, et la façon dont les bureaucraties hydriques s’adaptent à ces conflits est corrélée à l’émergence de gestions alternatives de l’eau. Plus généralement, les politiques de l’eau doivent être ajustées aux transformations des territoires et des populations concernées. Quatre mécanismes d’évolution peuvent ainsi se dessiner, permettant de déterminer les coalitions dominantes à l’origine de ces ajustements et, en particulier, donner lieu à la mise en place de formes particulières d’écologisation des politiques de l’eau. Le premier mécanisme consiste en un renforcement des bureaucraties hydriques (cas de Billings au Brésil). Trois types de coalitions se font face : une coalition de bureaucraties hydriques qui est dominante, une coalition de militantisme écologique de la « société civile », et une coalition institutionnelle conservationniste. Dans le second mécanisme, on assiste à l’émergence d’alternatives minoritaires (cas de Chalco-Saltillo-LGA au Mexique). Deux coalitions s’affrontent : une coalition de militantisme écologique de la « société civile » et une coalition conservationniste basée sur l’expertise, qui est dominante. Le troisième mécanisme montre des déplacements de pouvoirs locaux non-écologistes (cas d’Ilhabela au Brésil). Trois types de coalitions sont concernés : une coalition des bureaucraties hydriques, une coalition de militantisme écologique de la « société civile », et une coalition du pouvoir territorialisé des professionnels de l’eau, dominante. Enfin, le quatrième mécanisme se déroule à travers une recomposition majoritaire environnementale (cas de l’Arizona aux Etats-Unis). Il confronte trois types de coalitions : une coalition de modus vivendi en faveur d’un développement local durable, une coalition conservationniste basée sur l’expertise, et une coalition institutionnelle conservationniste, cette dernière étant dominante.

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